Promotion de la santé mentale. Ou pourquoi est-il si difficile de laisser une place aux stratégies de santé des patients dans la pratique médicale - Dr Michel BASS - 2012 -

Promotion de la santé mentale

Dr Michel BASS, 2012[1]

 

Ou pourquoi est-il si difficile de laisser une place aux stratégies de santé des patients

dans la pratique médicale

 

« Cela ne sert à rien de fabriquer des médecins compétents si cela ne convient pas aux patients, si cela ne leur convient pas en termes de santé. »

Pierre-Louis DRUAIS, président du collège de la médecine générale, durant le congrès de Nice, juin 2012

 

1- Ma problématique est la suivante :

La santé mentale a profondément changé depuis la découverte des psychotropes (en particulier les neuroleptiques) : la maladie mentale est maintenant traitée comme une pathologie chronique de longue durée. En revoyant récemment, dans le film de DEPARDON (journal de France), des images de l’hôpital psychiatrique de Venise dans les années 50 ou 60, on mesure le chemin parcouru : hôpitaux psychiatriques vidés puis en grande partie fermés. Par la grâce de certains psychiatres tel Franco BASAGLIA, il n’est plus question d’institutionnaliser les malades, ils sont « suivis » en milieu ouvert et ne passent plus leur temps à se balancer et à déambuler dans un ennui permanent.

Enfin, en première approximation. Car si la situation de certains malades mentaux s’est améliorée, on ne peut pas en dire autant pour tous, ou alors cela dépend de ce que l’on inclut dans la catégorie (les « Alzheimer » ? les tentatives de suicide ? les pervers narcissiques oh combien valorisés dans le champ sociopolitique ?, etc.). Allez voir les « cantous » d’aujourd’hui puis retournez voir les images de Depardon…

Donc si la médecine s’occupe un peu mieux de la maladie, ce n’est pas pour autant facile d’être malade ! Au nom de leur santé, il leur est demandé de se comporter de manière conforme à ce que les soignants attendent d’eux (c’est comme cela que l’on juge leur « progrès thérapeutique », sinon ils sont considérés comme « résistants »), entraînant implicitement un sentiment très important de culpabilité des patients (le « Victim Blaming » des anglo-saxons). Il s’agit d’une véritable « injonction de santé » reposant sur ce que Robert CASTEL appelait le « souci de santé », sorte de pression sociale visant à faire de la santé le but de la vie et laissant peu de place à des alternatives ou des refus, imposant une vision normative en matière de comportement, structurant toute déviance du côté de la pathologie. Plus même, les progrès du dépistage, la volonté de prévention étendent ce souci de santé non seulement aux malades mais aussi aux bien portants qui, le rappelait déjà le Dr. KNOCK, ne sont rien d’autre que des malades qui s’ignorent ou de futurs malades (voir par exemple la question du dépistage de la délinquance potentielle chez les enfants). Etre en bonne santé devient une lutte, un combat de tous les instants, un envahissement qui ignore les questions de qualité de la vie, de reconnaissance, les questions sociales, le projet que chacun d’entre nous cherche à poursuivre, et plus encore sa manière de se considérer comme malade ou bien portant. Qui est accaparé par le fait que la normalité et la déviance ne semblent plus poser de problème : la maladie et la santé sont devenus des faits, objectifs...

Ces questions (de vie, de reconnaissance, sociales, de logement, sa manière de se considérer comme malade ou bien portant) sont oubliées au profit d’une approche (partagée par soignants et soignés) purement médicale (pharmacologique essentiellement) de la prise en charge thérapeutique.

Mais ce que la médecine tente d’évacuer par la grande porte de la science (médicale, cognitive, comportementale) fait un retour (comme un retour du refoulé) par la petite porte sociale : la présence de malades mentaux dans la cité préoccupent leur entourage immédiat (familles, voisins), les professionnels de proximité (souvent les généralistes), et les politiques (élus locaux, de quartier) sans pour autant trouver de réponse satisfaisante. Délaissées par les spécialistes, ces questions tendent à être laissées aux non professionnels (voisins, associations, élus). Les malades se concentrent dans les villes (centre ville et ville centre), non loin des CHS, où ils vont trouver leur traitement médical. Il faut les loger, les voisins doivent les tolérer, ils doivent pouvoir se débrouiller de façon plus ou moins autonome. Pour une bonne part, bénéficiaires de l’AAH, ils sont souvent au chômage et très isolés. Leur capacité à suivre les recommandations des spécialistes est limitée ou alors stratégique. Leur mode de vie, quand ils habitent seuls dans leur logement dérange souvent les voisins (que ce soient des schizophrènes, des alcoolo- dépendants, des drogués, ou des Alzheimer – ces derniers que l’on cherche maintenant à institutionnaliser).

Ce sont ces questions qui devraient préoccuper prioritairement les acteurs de santé et les politiques. Malheureusement les acteurs de la maladie que sont les soignants sont démunis et isolés face à ces questions et cela les conduit à s’en désintéresser, et à se recentrer sur l’offre thérapeutique. Ces questions trouvent parfois un embryon de réponse dans de l’« offre occupationnelle » (animation dans les locaux du CMP avec accueil social et éducatif où les « bien équilibrés » vont régulièrement et avec profit) ou la mise en place des GEM (groupes d’entraide mutuelle, association plus ou moins autogérées par les patients, avec l’aide de professionnels, en général des éducateurs ou des animateurs). Même insuffisantes, ces offres ne sont pas anodines et sans effets : certains membres de GEM que j’ai rencontrés expriment la possibilité que leur permet cette structure de se réapproprier un peu leur vie, une capacité d’agir, d’influer, de décider. Un endroit où les stratégies utilisées face au système de santé (aller au devant de ce qu’attendent les soignants pour préserver son autonomie) perdent une partie de leur raison d’être, où ils peuvent enfin « être eux-mêmes ». Mais la maladie, étiquette posée par la médecine et imposée aux gens souffrant est lourde à porter. Toute sa vie finit par être structurée par la maladie. Les obligations de se soigner, les regards des autres, des voisins, la ségrégation face à l’emploi, tout cela représente une forme d’exclusion qui dure. Pour faire comprendre cela, I.ILLICH parlait d’ « expropriation de la santé »[2] : la médecine fabrique des malades sous couvert de maladies qu’elle identifie elle-même, et chacun d’entre nous est en quelque sorte dépossédé de pouvoir penser pour soi-même sa santé, d’explorer des alternatives thérapeutiques, de choisir ses soins y compris le non soin sans être considéré comme dangereux ou résistant.

2- Comment essayer d’analyser cette problématique ?

Une tension existe à l’intérieur et entre les 3 composantes qui constituent (au moins pour partie) la méthode de prise en charge des patients souffrant de pathologies mentales.

1-  La première difficulté vient de la médecine elle-même, ou plus exactement ce que l’on pourrait appeler l’idéologie médicale

La médecine contemporaine se revendique une pratique efficace, rationnelle, standardisée (de plus en plus), ou pour reprendre les mots à la mode managériale (malheureusement partagée par les institutions de santé) : « performante »[3]. L’idée de performance est en fait une croyance (le scientisme) qui construit dans la société une sorte d’emprise médicale sur le fait de la souffrance (ses signes et ses causes) et qui se révèle contre productive. La médecine dit, énonce ce qu’est ou n’est pas la souffrance et en affirme les causes (dans un paradigme biologique et anatomique). D’autres dimensions étiologiques comme par exemple les difficultés à vivre en société (manière sociologique d’envisager l’étiologie de la maladie mentale[4]) sont non pas passées sous silence, mais reléguées en dehors du champ de la pratique médicale. L’« éthique du progrès » revendiquée et mise en œuvre par les soignants, conduit à ce que « le personnel clinique [croit] que si le patient ne s’améliore pas, il résiste au traitement. »[5]. Cette conception réductionniste repose, selon Anne VEGA[6] sur le fait que « les médecins évoluent au sein de cultures et sont issus de milieux sociaux qui véhiculent des représentations (des valeurs, des normes, des idéologies et des croyances) (…). Du fait de la prévalence d’un modèle dominant de « neutralité scientifique » particulièrement développé en France les médecins sont supposés avoir des pratiques professionnelles « scientifiques » et des jugements « neutres » (souvent par opposition aux « profanes » placés du côté de l’émotion, de pratiques peu rationnelles et de croyances erronées) (…). Ils n’interrogent alors qu’une partie des facteurs influençant les jugements et participant aux décisions médicales : ils mettent l’accent sur les raisons « objectives » au dépend d’interrogations sur des problématiques sociales (…). Cela a une double conséquence :

D’une part les « on arrive à une sorte de détournement de la dimension sociopolitique de la maladie : il s’agit d’éviter toute construction collective des ‘problèmes de santé’. Les professionnels peuvent donc encore être les seuls à pouvoir parler entre eux des problèmes de santé, des besoins et de la demande »[7]. Thierry BERCHE, médecin de santé publique et anthropologue souligne que cette emprise médicale sur la problématique de santé est telle que même l’expertise sociologique est accaparée par la médecine comme la médecine accapare chacun d’entre nous pour penser sa santé et ce qu’il est pertinent de faire : « les médecins se substituent aux socio-anthropologues dans la recherche globale de la pertinence anthropologique de l’action sanitaire ». Et cela conduit à l’inaction, ou en tout cas à minimiser et rejeter hors du champ de la clinique les éléments non médicaux de la prise en charge.

D’autre part, cette emprise constitue, rappellent COHEN et KARSENTY (cités par VEGA p.8) la dissymétrie existant de fait entre soignants et soignés : « les inégalités de pouvoir entre soignants et soignés, [créent des] ‘dénis’ médicaux concernant l’origine et les conséquences de leurs propres prescriptions »[8]. L’explication des prescriptions médicales et les conséquences de telles prescriptions ne sont jamais discutées du point de vue du patient (psychologique) ou du point de vue de l’environnement (anthropologique) et encore moins du point de vue du lien entre le patient et son environnement (sauf exception comme les cas rares où un malade commet un crime, et encore…).

En bref, l’hypertrophie sans cesse croissante de la médecine dans la prise en charge des problèmes de santé et sa traduction en objectifs de performance impose aux patients « l’obligation de collaborer, voire de suivre des parcours de soins et des traitements imposés[9] » ainsi qu’un déni de ce qui constitue la problématique sociopolitique de la maladie.

2-  La 2e composante de la prise en charge de la maladie mentale, sociopolitique, souffre d’un déficit d’allocation des moyens à la hauteur de son déni médical et créé un clivage entre acteurs du social et acteur de la santé.

Les préoccupations changent dès lors qu’il s’agit de penser la question de la santé mentale à un échelon non plus clinique mais territorial, c’est à dire sur un plan collectif. Tout le monde est à la recherche d’une organisation des ressources nécessaires à la vie des malades dans leur territoire. Si les ressources sanitaires (soins médicaux, soins hospitaliers, qualité des prises en charge) sont l’objet d’attention angoissée de nos élus (ils sont aussi sous l’emprise), la grande interrogation concerne la possibilité pour les gens de vivre en ville, chez eux, acceptés par leurs voisins. Cette dimension est essentielle : les soins proposés sont soit des médicaments renouvelés chaque mois, soit quelques activités dites occupationnelles[10]. Or le travail, le logement, les relations sociales, l’alimentation sont des problèmes cruciaux pour lesquels une aide est souvent nécessaire mais dont la prise en charge souffre du manque de considération que l’on a à s’affronter à ce genre de problème (ce n’est que le contexte de la maladie…). Les élus des grandes villes où se concentre l’offre de soins redoutent de voir se concentrer cette population dans les centres villes. D’autant que la situation sociale de la plupart des malades relève encore trop souvent de la précarité voire de la grande précarité. Les élus et les responsables de services sociaux sont bien conscients que le traitement médical ne prend en compte qu’une petite partie du problème de santé de ces gens. Ils essaient alors de fabriquer du « projet de santé » dans leurs quartiers et dans les centres villes. Ces démarches de projet, qui mobilisent beaucoup d’acteurs sociaux, ne sont pas investies par les professionnels de santé. Il y a donc une tension permanente entre les acteurs sanitaires qui font du soin, et les acteurs sociopolitiques qui essaient de faire de la santé. Devant ce constat, certains praticiens réfléchissent et essaient de fabriquer de l’action plus globale. Il en va ainsi des réseaux de professionnels qui sont censés permettre d’intégrer la dimension sociale de la maladie dans un travail collectif. Cette démarche intéressante pose le problème qu’exposait T.BERCHE : au mieux on « convoque » une expertise supplémentaire (par exemple un diagnostic de santé va être fait par des sociologues), ce qui ne fait qu’étendre l’emprise. Dans ces démarches[11], les gens souffrant, et de la même manière le tissu sociopolitique, sont dépossédés encore un peu plus de leur capacité d’agir : la démarche de diagnostic de territoire, censée faire émerger les problématiques sous de nouvelles perspectives est en fait calquée sur les procédures diagnostiques de la médecine (observation, analyse, prescription). Il ne s’agit bien souvent que de trouver une solution à des problèmes appréhendés dans une démarche purement experte et qui ne cherche en général pas à agir plus globalement sur ce qui détermine les problèmes. Nous préférons quant à nous imaginer avec les gens concernés quel pourrait être leur projet de santé, leurs stratégies de vie pour collectivement les accompagner dans leurs choix. Ce qui supposerait de « déposer nos armes » de la « lutte » pour la santé[12].

3-  La 3e composante, ce sont les « stratégies » profanes des gens, dans leurs réseaux, leurs familles) qui souvent vécues comme des problèmes à résoudre et créent par là même des tensions dans les relations des gens avec l’institution de soin

Que nous dit Robert BARETT[13] : « l’activité de professionnels en interaction est, pensons-nous largement gouvernée par une reconstitution permanente des bases de travail à travers la négociation (p.26). ». Le patient est donc partie prenante et contribue à diriger les représentations que les soignants ont de lui.

Or les stratégies des gens pour tenter de garder le contrôle de leur vie, que ce soit dans leur vie sociale ou dans leur « vie sanitaire » sont le plus souvent déniées, et en général réinterprétées comme un frein (cf. plus haut : le patient « résiste »). Reconnaître ces stratégies serait un premier pas dont il faut cependant se méfier si on ne fait pas l’effort d’en mieux comprendre le sens, en rappelant que ces stratégies ne sont pas repérées en tant que telles par les gens eux-mêmes[14] ([15]) : l’emprise pourrait, au contraire, se renforcer par une possibilité nouvelle d’intervention sur les stratégies.

Car, comme l’explique Anne VEGA[16] « s’il existe un « jeu d’influences réciproques » entre soignants et soignés, [n’oublions pas que] la relation médecin patient reste largement fondée sur le déséquilibre des compétences et des responsabilités, (…) qu’il s’agisse de patients en médecine générale, comme de personnes atteintes du SIDA ou du cancer. Dans tous les cas, les patients sont dans l’obligation de collaborer, voire de suivre des parcours de soins et des traitements imposés[17] ». Et Robert BARRETT ajoute que « bien que [les patients] soient impliqués dans le processus de documentation [ce qu’on écrit sur eux dans le dossier par exemple] ils ne peuvent pas directement lire ou écrire dans les notes (…). Ceci a d’importantes conséquences sur leur façon de parler (p.126). Et donc dans ce qu’ils donnent à voir de leur pathologie dans la mesure où la pathologie mentale est repérée essentiellement au travers des mots.

Si donc le patient est actif à défaut d’être acteur de sa santé, il se trouve dans une situation de dissymétrie. En quoi une telle situation est-elle préjudiciable ? Chaque patient dans ce champ de la santé mentale est donc pris dans une certaine emprise médicale (la médecine le détermine en tant que patient porteur d’une maladie devant accepter des soins) et une emprise sociopolitique (l’aide sociale sous toutes ses formes)[18]. Cela en fait une personne en situation de recevoir en permanence et à long terme l’aide des autres, sans jamais rien pouvoir rendre, c’est-à-dire sans contribuer en rien. Or Marcel MAUSS[19] disait que « Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l’a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour. (258) Donner c’est manifester sa supériorité (269) Accepter sans rendre ou sans rendre plus, c’est se subordonner, devenir client et serviteur, devenir petit, choir plus bas (270) ».

L’organisation de la générosité publique a donc des effets pervers. Elle place le patient, le malade en situation de « receveur net », en situation d’aliénation (perte du lien qui permet à chacun d’avoir une place reconnue dans la société), aliénation qui prive la personne de sa capacité d’agir, et de la dimension tragique de son existence.

En dehors du fait de l’emprise médicale (1ère composante) et de l’emprise sociale (2e composante) chaque personne souffrante subit les effets d’une organisation de l’aide qui l’exclut de ce qui constitue le lien social et sa capacité à agir. De plus, 3 composantes sont en tension entre eux : l’emprise médicale, le culte de la performance nuit à la prise en compte de la dimension sociopolitique de la maladie, l’emprise sociale, la volonté d’aide nuit à la constitution de ce qui fait le lien que justement on se proposait de restaurer, la médecine se situe aussi dans la « relation d’aide » unilatérale, etc.

La personne malade, souffrante, se voit dépossédée de toute possibilité d’autonomie, de contrôle de sa propre vie. L’aide refusée est de la résistance, l’aide acceptée de l’aliénation. Comment en sortir ?

3- Agir de sa place de médecins / Acteur social / élu pour résoudre ces tensions ?

Quel pourrait alors être le rôle du médecin traitant, du généraliste de proximité, comme du projet d’une collectivité locale ? On voit bien la difficulté : des patients « pris » dans les filets du progrès médical et psychiatrique, des médecins peu au fait des parcours de vie, des facteurs nombreux et divers qui influencent, constituent la qualité de vie des patients, un environnement social défavorable, et une praxis résistante au changement.

La charte d’Ottawa de la promotion de la santé (OMS 1986) définit la promotion de la santé de la manière suivante : « la promotion de la santé est le processus qui confère aux individus et aux populations un plus grand contrôle sur leur propre santé (…). Cela suppose l’accès permanent et illimité aux informations ».

Il s’agit donc d’imaginer de tels processus, dans lesquels

-  les différents déterminants de la santé seraient pris en compte dans une approche multidisciplinaire et multiréférencée, ce qui suppose une évolution notable de la pratique médicale tant libérale qu’hospitalière, en particulier sur les sujets d’apprentissage et d’expertise proposés aux médecins.

-  La place, individuelle et collective, des gens dans la détermination de leurs stratégies de santé serait pensée et mise en œuvre[20] : le malade cessant d’être au centre des attentions de tout le monde (« le malade est au centre ») (le réseau de professionnels classique), il devient un partenaire du projet le concernant. C’est son projet auquel les intervenants contribuent alors en se concertant : le sociologue Serge EBERSOLD appelle cela un système de coopération équitable.

-  La possibilité d’auto organisation comme contre pouvoir à l’organisation médicale est fondamentale (Les GEM sont une ébauche de cela, mais nous avons une histoire de groupes de malades militants)

-  Les liens entre monde médical, monde social, monde politique donneraient lieu à de réelles élaborations en commun

-  Le lieu médical pourrait devenir aussi ce lieu d’élaboration, de convergences, de coopération, avec les patients. La mode visant à construire des maisons pluridisciplinaires de santé pourrait être une opportunité pour repenser les pratiques.

-  Cela conduirait à replacer la médecine à sa juste place dans la « production de santé publique ».

-  Il ne s’agirait pas de se contenter d’un « consentement libre et éclairé » ou d’une « voix au chapitre » même si ces 2 notions sont fondamentales.

Chiche ?

 



[1] Une première version de ce texte a servi pour une intervention du Dr. BASS au congrès de la médecine générale de Nice en juin 2012

[2] I.ILLICH, Nemesis Médicale, In œuvres complètes, FAYARD 2012

[3] Cette performance, qui « se base sur des preuves » (« evidence based médicine » disent les anglo-saxons). Reste à savoir de quelles preuves on parle : je rappelle pour mémoire l’épidémiologie historique anglo-saxonne, reprise par le HCSP en son temps, qui fait valoir la faible efficacité (et efficience) de la médecine dans la diminution de la mortalité générale. C’est ce qu’Ivan ILLICH appelait la « contre productivité » du système, renforcée par ce qu’il avait nommé l’Iatrogénie. (cf. Némésis Médicale, que l’on peut retrouver dans la réédition des œuvres complètes chez Fayard).

[4] Voir à ce sujet les thèses de DEVEREUX dans ethnopsychiatrie des indiens Mohave, les empêcheurs de penser en rond, 1996. Devereux affirme par exemple que « l’authentique schizophrénie était absente à l’époque aborigène ou au début des réserves », le développement ultérieur de cette maladie étant le produit d’une acculturation à la société moderne et complexe. (cf. 383)

[5] Robert BARRETT, La traite des fous, Les empêcheurs de penser en rond, 1998, p.43.

[6] Anne VEGA rapport à la CNAMTS,  INSERM et CNRS (CERMES), août 2011

[7] Thierry BERCHE, anthropologie et santé publique en pays Dogon. APAD Karthala, 1998

[8] Anne VEGA, op.cit. p.8

[9] Anne VEGA, op.cit. p.9. Et la « mode » de l’éducation thérapeutique du patient tend bien souvent, faute d’une formation adéquate des praticiens, à renforcer le problème

[10] Un adhérent dans un GEM me décrivait ainsi sa consultation mensuelle : « c’est bien, cela nous fait un repère, et puis on nous propose des activités, et on peut rencontrer d’autres gens ». A ma question de savoir alors l’intérêt d’un GEM, il m’a répondu : « le GEM, c’est tous les jours, et c’est nous qui nous en occupons ».

[11] NB : je différencie clairement les réseaux de santé des réseaux de professionnels ou des filières de soin.

[12] Il suffit d’évoquer la terminologie guerrière du domaine sanitaire pour comprendre pourquoi nous parlons d’armes : lutte contre, éradication, guerre, élimination, etc. C’est aussi une référence à Marcel MAUSS dans son essai sur le don : « Les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus ont su stabiliser leurs rapports, donner, recevoir et enfin rendre.(…) S’opposer sans se massacrer, et se donner sans se sacrifier les uns aux autres ».(p.278). Je développerai un jour cette question du sacrifice imposé au malade pour le bien du système de santé et la tranquillité publique.

[13] Robert BARRETT, Op.Cit.

[14] Exemple de ces stratégies que dans une étude anthropologique sur le suicide en  Bretagne nous avons retrouvé, le plus souvent, l’un ou l’autre de ces facteurs – l’existence d’une histoire du malheur dans les réseaux primaires, l’existence d’une disjonction culturelle (concepts issu de Devereux) et une perturbation du cycle du don dans les réseaux primaire ou secondaire, phénomènes non repérés par les gens eux-mêmes mais qui les conduisait à agir en conséquence.

[15] Je préfère parler de stratégies plutôt que d’action plus ou moins consciente dans la mesure où ces actes s’enchaînent et se répètent dans un processus que les gens mettent concrètement en œuvre, comme cette jeune fille qui avait demandé à son compagnon de ne pas l’hospitaliser si elle refaisait une tentative, ce que le compagnon a respecté, au péril de la vie de la jeune fille

[16] Anne VEGA, op.cit. p.9

[17] Et la « mode » de l’éducation thérapeutique du patient tend bien souvent, faute d’une formation adéquate des praticiens, à renforcer le problème

[18] Christopher LASCH parle d’une « société thérapeutique » où les aléas de la vie sont pris en charge par des experts, dénaturant par là même les dimensions de la vie que sont le tragique et la capacité d’agir de façon autonomes et apportant sans cesse des réponses « à la place de », oubliant le « point de vue des simples gens, c’est-à-dire ceux qui, par la force des choses, ont l’habitude de déchiffrer une société en la considérant sous le seul angle approprié, à savoir de bas en haut » ? In La culture du narcissisme, Champs Essais 2006, p.10 (introduction de Jean-Claude MICHEA).

[19] M. MAUSS, Essai sur le don in Sociologie et anthropologie, PUF, 1985 (pages notées dans le texte).

[20] Une recommandation récente de l’académie de médecine concernant la santé des personnes âgées va dans ce sens.

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