Quelques réflexions de formateur sur l’analyse des pratiques professionnelles en secteur petite enfance, in D. Fablet, L’Harmattan, juillet 2004. Didier Favre

"Quelques réflexions de formateur sur l’analyse des pratiques professionnelles en secteur petite enfance, in «  Professionnel(le)s de la petite enfance et analyses pratiques » ; Fablet Dominique (coord°), Paris, L’Harmattan, juillet 2004.

La science manipule les choses et refuse de les habiter.

Maurice Merleau-Ponty

En théorie les théories existent, en pratique elles n’existent pas.

Bruno Latour

Depuis 1991 j’anime des groupes d’analyse des pratiques destinés à des professionnels de la petite enfance – et dans le champ plus large de l’intervention sociale et médico-sociale – en ayant recours à une démarche qui se fonde sur une approche systémique inspirée de l’analyse des systèmes et de l’analyse institutionnelle[1].

Le dispositif 

 

Le groupe est constitué d’une dizaine de personnes pour des sessions mensuelles de formation de trois heures se déroulant sur une année scolaire. Les règles en sont les suivantes : respect du cadre posé, confidentialité des échanges, présentation d’au moins une situation par personne et écriture du compte rendu de séance ; puis feed-back lors de la session suivante, reprise du compte rendu, correction et validation. Le plus souvent deux situations sont exposées, mais la primauté est toujours laissée à l’urgence. Enfin, un bilan formatif, orienté sur les acquis, changements de pratiques et perspectives, clôture le dispositif. L’esprit de ce travail d’analyse est centré sur la question des processus – du « comment apparaissent et se déroulent les situations  » – dans l’institution et entre les acteurs. Sur un plan éthique, les pratiques et le contexte de ces « situations-problèmes » sont au cœur du travail et non les personnes ou ce qu’elles mettent en jeu dans les situations, la finalité vise le changement de pratiques.

Le rôle du formateur est d’être garant des règles énoncées, du processus et de ses fins, du cadrage du temps et des étapes méthodologiques, de la mise au travail des hypothèses et des concepts.

 

Son déroulement

L’exposé d’une « mise en difficulté » se déroule en deux temps : une libre parole du professionnel sur la situation sans intervention du groupe durant cette phase ; puis une exploration – après le déploiement de l’événement restitué « tel que perçu » – où chacun questionne sur ce qui fait problème pour lui : précisions sur les protagonistes, l’institution, son histoire, etc. C’est un moment dans lequel je m’implique et qui dure tant que des informations nouvelles arrivent. Au moment où s’éteignent les interrogations fait suite le rituel de reformulation : « pour vous, quel est le problème ?  ». Le professionnel au travail se met en retrait et écoute les propositions de reformulation de sa situation. Chacun est donc amené à dérouler devant le groupe ce qui constitue sa représentation et à expliquer ce qu’il en est pour lui de ce qu’il comprend du problème. Différentes problématiques sont ainsi construites. Dans un second temps vient la formulation de l’hypothèse ; chacun traduisant le « problème construit » en un questionnement (l’hypothèse de travail prenant valeur interprétative). Puis l’ensemble des reformulations et des hypothèses sont soumises au commentaire du professionnel concerné qui de nouveau peut inter-agir avec le groupe et donner son feed-back.

Le rôle du formateur revient au final à synthétiser l’ensemble des apports, les mettre en perspective pour chacun, en donnant sa propre lecture en dernier. Celle-ci apparaît alors seulement comme « un des possibles » et n’a pas de visée conclusive même si elle prend à ce moment-là une valeur particulière du fait de sa position ultime. La situation reconstruite nous amène à définir ensemble des pistes d’action pour la prochaine session. Quand les situations sont par trop obscures ou insaisissables, le recours au jeu de rôle s’avère utile – à la condition que la règle en soit clairement explicitée. Ici, celui qui expose n’a pas de rôle à jouer. L’objectif est de mettre en scène la situation en jouant la communication (verbale, non verbale) à partir d’une consigne proposée aux candidats par le formateur (avec un hors-champ de consignes d’observations pour les autres membres). Ce cadre posé, il est rare qu’une situation ne révèle de l’inouïe et ne conduise à un enrichissement inattendu. La perspective nouvelle ouvre alors au décentrage attendu, ce « regard fertile », conduisant à une compréhension inédite du problème.

Cadre de référence, démarche et repères

 

Cette pratique de formation se réfère à une épistémologie systémique et une méthodologie inspirées de l’analyse des systèmes ; elle s’inscrit dans un cadre de référence issu de la « seconde cybernétique » (interactive et rétro-active) qui se démarque de la « théorie de l’information » fondatrice. L’extension de cette première théorie – linéaire, explicative et causale – s’est opposée symétriquement dans le champ thérapeutique à la psychanalyse, dans sa formulation « communication » ou « thérapie familiale » (proposition d’un autre cadre de lecture et d’interprétation du vécu des sujets). La seconde formulation de cette théorie a permis une « pensée du Système », fondant son étiologie sur les liens qui unissent les systèmes et les font rétro-agir les uns avec les autres[2].

Ce dispositif est centré sur les processus mis en œuvre et les interactions elles-mêmes et non sur les personnes avec leur dynamique interne (significations des relations avec les autres et l’environnement). De fait, cette théorie générale rend possible une « construction de systèmes » qui autorise une représentation « complexe » du réel[3] autour d’une modélisation des différents systèmes en jeu (famille-structure d’accueil, équipe-parents, projet éducatif familial-projet éducatif institutionnel). Notre cadre de référence ne sera donc pas celui de la pathologie mais celui du changement, en nous attachant aux processus du « comment » plus qu’aux « pourquoi » ; le champ d’intervention dans lequel nous nous inscrirons sera celui de la formation et son ancrage constructiviste, résolument professionnel et institutionnel – la question du changement personnel dans le professionnel étant renvoyée au champ thérapeutique[4]. L’attachement aux processus ainsi qu’au positionnement des sujets dans l’interaction nous a conduit à chercher des réponses adaptées en termes de proposition méthodologique : c’est-à-dire savoir poser les questions ou les problématiques « en contexte ». Ce qui signifie que cette « construction » des situations correspond à « une structuration du contexte » (une modélisation) d’où émerge un dispositif d’interrogation et la formulation de problématiques, d’hypothèses, avec un choix de concepts pertinents. La démarche consistant à mettre des hypothèses au travail revient à faire jouer des questions dans des problématiques – plutôt que d’apporter une réponse à une question. En fait les réponses « réduisent » le plus souvent les problèmes aux solutions ; et sans déploiement du problème elles ne permettent pas de « réfléchir » les situations.

Cette démarche ouvre à une approche méthodologique des situations, des interactions, des itérations offrant une perspective nouvelle sur les « comment ? » plus que sur les « pourquoi ? ». Cette approche par les processus nous conduit à privilégier la démarche d’hypothèse inductive et compréhensive au détriment du système hypothético-déductif, causal et explicatif. La définition de l’analyse des pratiques comme « outil pour l’action et la recherche  » (Barbier, 1996) rend bien compte de la dynamique du travail. Car cet espace, lieu d’expression de la « praxis des acteurs », vise leur transformation par une activation d’un processus de mise en recherche. L’approche systémique en référence à cette proposition y est donc choisie pour trois ordres de raisons : épistémologique parce que l’essence même de cette approche renvoie au constructivisme, c’est-à-dire à la construction et la connaissance de notre environnement par l’action et dans l’action, méthodologique en tant que démarche questionnant des systèmes en interactions et éthique parce qu’elle vise un changement des pratiques d’acteurs et non des personnes.

Cependant, cette position se doit aussi d’éclairer ce qu’il en est du « sujet ». La catégorisation en « acteurs » pour les professionnels n’élimine pas la question des sujets qui agissent avec tous les ressorts que nous connaissons et utilisons chacun, peu ou prou (inconscient, pulsions, transfert, projections). Si l’acteur est pris comme sujet, c’est en ce qu’il est « auteur » (responsable) de son acte, mais seule son action est au cœur du dispositif d’analyse. Le « sujet » avec sa vie propre n’est pas éliminé (dimensions personnelles, affectives, émotionnelles) et il tient sa place – l’espace pris pour son « expression propre » est celle que le sujet voudra bien lui donner dans ce cadre. Il n’y a pas d’attente à ce propos, le « sujet » n’y étant pas « objet » d’analyse. Cette approche ou cette dialectique sujet-système relève en fait de deux types de théories et d’hypothèses (psychanalytique, systémique) qui entraînent des constructions distinctes, complémentaires par certains segments, contradictoires par d’autres, mais qui doivent s’interroger sur les dispositifs qu’ils mettent en place et leur statut scientifique (Stengers, 1989, 1992). Nous considérons ces systèmes théoriques compréhensifs ou interprétatifs, comme des « constructions », et donc d’une certaine manière comme des « fictions » – ce qui signifie essentiellement que nous avons affaire à des « hypothèses théoriques ». Car la question n’est pas de se satisfaire du déplacement d’une théorie hors de son cadre d’exercice mais de construire des référents adaptés, des outils de pensée dans un modèle, une modélisation qui ré-articule les concepts en perspective pour produire du sens, du savoir, de l’action et du changement. Ainsi nous soutenons une construction de la réalité où la mise au travail d’une hypothèse centrale génère une lecture compréhensive des situations professionnelles[5]. Il s’agit d’un choix heuristique en termes de production de savoirs ; car dans le contexte où nous cherchons à produire un changement de pratique qui prenne en compte le contexte et l’ensemble des interactions du système où agit le sujet, nous nous sommes demandé ce qui serait à même d’être le plus pertinent pour atteindre ce but de changement des pratiques. Ce choix ne donne pas lieu à un dispositif de vérification du vrai mais d’un éprouvé de l’acte et de sa pensée – ou, comme le dirait René Girard, « ce n’est pas la vérité de l’hypothèse qui compte mais ce qu’elle permet d’éclairer ». Il n’y a donc pas de « bonne ou mauvaise » théorie, mais seulement des conceptualisations et des hypothèses qui nous permettent de penser en tenant compte des contraintes et limites de chaque proposition ou construction conceptuelle. Pour notre part l’heuristique systémique nous paraît particulièrement adaptée à cette définition du contexte de travail et de recherche, sans mettre de côté une certaine clinique de l’écoute et de la relation à laquelle nous avons aussi recours[6].

La question du contexte et de l’interprétation

Si le cadre de référence pour la construction et l’interprétation est systémique, le premier niveau conceptuel d’analyse pertinent est celui qui permet de penser l’institution. L’analyse institutionnelle, dans l’analogie inconscient-institution, permet de penser le contexte où apparaît la situation professionnelle. C’est une notion essentielle indissociable de la question de la situation professionnelle et de la place occupée par les acteurs. Nous devons définir celle-ci, car à notre sens il s’agit d’un concept « analyseur ». Etymologiquement le « contexte », de contextere, est « ce qui est tissé avec » ; ce qui introduit à la complexité, de complexus, « ce qui contient » – soit pour nous : « l’ensemble des circonstances dans lesquelles s’inscrit un problème ». Ce qui formera une situation  : un problème replacé dans son contexte, et qui a l’avantage d’introduire de fait l’institution dans le champ d’analyse[7]. Les actes, les pensées qui les fondent et les pratiques qui les nourrissent, les processus d’explicitation, de recherche et de transformation, sont par nature contextualisés dans un espace-temps et sont indissociables du lieu où ils s’expriment. Les événements ne sont donc accessibles et compréhensibles que dans leur rattachement au contexte où ils apparaissent : leur contextualisation.

Le « contexte » est un point clé d’entrée dans la compréhension des situations et leur exploration. C’est dans une réflexion autour de la compréhension et de la traduction de ces interactions « en contexte » que la recherche des articulations fait apparaître les logiques de médiation à l’œuvre aux différents niveaux de l’institution – et que se pose la question du changement. Si l’analyse institutionnelle et systémique introduit à une pensée du contexte, symétriquement, elle oblige à penser le lieu de sa décontextualisation (décentration) et interroge aussitôt le groupe et la situation d’analyse des pratiques comme métaphore de l’institution. Ici la psychosociologie ouvre la possibilité de saisir cet espace de travail comme celui d’un groupe avec sa vie propre, son engagement physique et émotionnel (Chami, 1998), sa dynamique et ses interactions et son fonctionnement en « résonance » avec le système-crèche. Enfin la psychopédagogie est sollicitée pour aider à penser ce qui autorise une dynamique de changement et donc d’apprentissage ; de comprendre ce qu’il en ressort au regard de l’intra/socio-cognitif, mais aussi du psychosocial comme enjeu de ce dispositif.

 

Analyseurs et interprétation

L’éclairage des situations requiert une transversalité, une transdisciplinarité, un certain « nomadisme » des concepts afin d’aider à rendre compte de la complexité des situations étudiées en contexte. Ce sont ceux de la complexité (modélisation, paradoxe), systémique (homéostasie, symétrie, alliance et coalition, tiers inclus-tiers exclu), des concepts créés au cours du travail notamment par M. Mony (double contrainte paradoxale[8], double appartenance et compétence de contexte, la question de la place[9]), de l’anti-psychiatrie (double-lien), de la psychothérapie institutionnelle (instituant-institué, institution et inconscient, désir), de la pédagogie institutionnelle (dispositif, instances, projet) et de la thérapie familiale systémique (symptôme, patient désigné, système familial, homéostasie, conflit/crise), de la sociologie des organisations (pouvoir, acteur, incertitude, négociation, marge de manœuvre), de la psychosociologie (rôle, statut, attitudes, valeurs, représentations, acte, acteur), de l’éducation familiale (suppléance-substitution, implication et place des parents), de la pédagogie du projet (projet, autonomie), des sciences cognitives (information, auto-organisation, auto-poïèse), du développement social local et de l’économie solidaire (implication, participation, coopération) et de l’anthropologie (bouc-émissaire, violence mimétique ; don et lien social[10]).

S’attacher au processus de développement de la situation présentée permet de dérouler les différentes facettes du problème (interactions, modes de communication, circonstances, situation du problème dans l’histoire du lieu, durée, temps, espaces où il s’exprime et instances mobilisées) et ses niveaux d’apparition (niveau phénoménologique, individuel, institutionnel, interactions d’équipe, relations parents-professionnels, relation employeur-salarié, projet éducatif, projet institutionnel, mythe fondateur, crises et événement fondateur). Ce développement renvoie à une modélisation de l’institution[11] en deux niveaux (mythique / finalités / projet et niveau phénoménologique / quotidien / pratiques) entre lesquels vient s’intercaler le plan des instances de fonctionnement et de règlements (selon un modèle ternaire[12]) constituant le niveau médian de l’organisation, effectif pour l’élaboration et la transformation du projet entre pratiques et finalités. La pensée d’Yves Barel sur le travail social (1982) vient nourrir la réflexion sur le modèle par la mise en évidence de la dimension paradoxale du travail social qui permet de saisir son indétermination entre contrôle et autonomie (l’utilité dynamique du concept de paradoxe étant de dépasser les contradictions et d’éviter de se positionner du point de vue idéologique).

 

La question du paradigme et des modèles

L’histoire des modes de garde nous conduit à penser les différents services avec leur cadre de référence pour faire surgir le paradigme fondateur du secteur[13] entre exclusion institutionnelle des familles et contrôle social. C’est la dimension hygiéniste, sanitaire, la question de l’enfant, du statut et du rôle dévolus aux mères – entre travail et soins maternels – l’absence des pères, la question de la domination de classe et du rôle de la médecine[14], du contrôle social et du pouvoir[15], de la professionnalisation et de l’héritage hospitalier qui fonde ce système de garde construit en réponse à un besoin des familles et/ou une demande sociale et politique. On peut alors considérer la structure d’accueil « crèche » dans sa filiation avec l’asile et la pouponnière et la placer au regard de l’école maternelle naissante. Ceci forme un premier modèle autour duquel prendra place une analyse systémique où la question centrale est celle d’une exclusion de la famille et de la constitution des savoirs professionnels expert dans la relation duelle enfant-professionnel contre les savoirs profanes de la famille. Pour les modes de garde « temporaire » apparaissent comme centrales les questions de l’éveil de l’enfant et sa socialisation, du « temps libre » des mères et aujourd’hui du temps partiel (le plus souvent contraint), de la recherche d’emploi, de la précarité et de l’urgence, de l’activité économique et sociale des femmes. Le point dominant est celui d’une mise en tension non résolue – que vient illustrer le développement et le succès des multi-accueil – entre besoins des enfants, désir-obligations des mères et représentations des professionnelles petite enfance[16]. Enfin la crèche parentale formalise un modèle émergent et ouvre à un nouveau paradigme (Favre D, 2003) autour du « parent acteur social » et de l’économie solidaire. Pour chaque situation institutionnelle et organisationnelle nous nous devons donc de construire un modèle en faisant émerger son cadre de référence. Le contexte ainsi construit ouvre à une lecture des actes professionnels et des interactions entre acteurs rapportés à l’institution.

 

La question des indicateurs

Pour donner à lire le changement nous devons faire apparaître nos indicateurs rendant visibles les points de passage vers les trois niveaux de notre modèle ternaire (cf. supra). L’évaluation de la pertinence de ce travail et de sa progression se situe sur la perception par le formateur d’une avancée vers l’intégration des enjeux du modèle, de la démarche méthodologique, des analyseurs et concepts et de leur réinvestissement dans les pratiques : c’est essentiellement percevoir que le questionnement se situe au niveau adéquat et dans des termes qui vont permettre son traitement dans le dispositif de formation. Il y a des critères qui rendent compte de cette intégration et renvoient aux indicateurs de changement se traduisant aux différents niveaux du modèle ternaire :

– au premier niveau phénoménologique (au quotidien par la pratique des acteurs et au plan éducatif et relationnel) c’est le passage de la « neutralité bienveillante » à l’implication, puis de l’individuel au collectif et de la relation duelle à la triangulation parent-enfant-professionnel réintégrant le tiers exclu ; sur le plan des pratiques c’est passer de l’expertise professionnelle à l’exercice du débat et de la participation/co-éducation avec les usagers, du besoin des enfants aux besoins des familles, de la relation de service au partenariat parent-professionnel, de l’éducatif à l’institutionnel, du projet pédagogique professionnel au projet éducatif et socio-institutionnel vers une coopération avec les usagers, de la fonction de garde et d’éveil à la fonction d’un service dans son environnement social et culturel, du socio-éducatif au socio-institutionnel, de la clôture institutionnelle au partenariat avec les autres services et institutions du secteur social et médico-social, éducatif et socioculturel, de l’éducation et des loisirs ; enfin, de la prime éducation au travail social (Favre, 2003). L’indicateur principal de ce premier niveau et moteur essentiel de cette dynamique est la réintégration du parent comme acteur et partenaire incontournable de la décision éducative en institution qui lui permettra d’investir les instances institutionnelles (conseil de crèche, assemblée générale) pour viser une dynamique centrée sur la coopération dans le projet.

– au deuxième niveau, médian institutionnel des règles et des instances, c’est le repérage par les professionnels de ce niveau comme pertinent pour identifier l’acte dans son lien avec la question du pouvoir (administratif, institutionnel, hiérarchique) et du « traitement » des questions de conflit éducatif, professionnel-parent dans la perspective du projet et de sa dynamique institutionnelle (ajustement du projet et adéquation aux acteurs) prenant appui sur le débat et la distinction des places (Favre, 2001). C’est au final la reconnaissance d’un passage nécessaire des médiations éducatives vers les médiations institutionnelles – ou encore passer de l’éducatif à l’institutionnel[17].

– enfin au troisième niveau, mythique, des finalités et du projet, c’est la compréhension d’une transformation du projet d’équipement et de sa mise en œuvre (sociale, éducative, pédagogique) par l’inscription des usagers comme co-acteur de l’éducation en tant que principe, valeur et fait (dans la place donnée et prise) ; ainsi que l’ancrage de la structure d’accueil dans son environnement (partenariat et développement social local) par la compréhension des enjeux d’une dynamique du lien social (don et réciprocité) autour de la question de « la garde ».

 

Contraintes, exigences et obligations

 

Le dispositif d’analyse des pratiques pose de notre point de vue quelques questions spécifiques : en tant qu’acte de formation il s’inscrit dans un espace « plié » entre les actions et les discours. Nous nous proposerons de lire son « dépli » en faisant émerger les contraintes[18] induites par cette situation, les exigences qui en découlent et les obligations qui s’imposent à nous afin de rester cohérent au regard de notre choix épistémologique et méthodologique. Ce détour nous aidera à rendre compte de quelques enjeux psychosociaux de cette activité de formation axée sur la transformation de l’action.

 

Contrainte : un discours sur la pratique

Il y a une évidence constitutive en analyse de pratiques d’un lien générique entre penser et agir qui pourtant ne va pas de soi (parler de l’action suffirait à en rendre compte). S’il n’y a pas d’action sans pensée (intention), il peut y avoir une pensée sans action. On accorde à la pensée un statut de transformation de l’action alors qu’on s’interroge assez peu sur comment l’action fonde et transforme la pensée. En interrogeant l’action nous sollicitons la pensée qui la fait naître. Mais nous n’accédons qu’à un discours sur elle ; nous voici donc confronté à une sorte paradoxe. De fait nous déclarons que notre objet de travail est la pratique professionnelle, mais en tant que formateur nous n’avons accès qu’aux « actes de parole », à des discours structurés par, sur et pour la pratique et non la pratique elle-même. Cette contrainte paradoxale d’un « discours sur » nous est « externe » et agit sans visibilité en conditionnant la nature même du dispositif d’analyse. Ainsi, autant dans le travail éducatif professionnel nous « agissons envers autrui » autant ici il s’agit de « penser l’agir » dans un dispositif de transformation de l’action sans pouvoir sur elle, ni vérifier ou évaluer : sur le terrain on agit, ici on parle de l’action effectuée pour intervenir sur sa transformation dans un dispositif d’analyse. La pensée professionnelle de la praxis (une théorie-pratique) se situe entre la réalité d’une pratique en contexte et la construction de la parole dans un espace intermédiaire (une interface psychosociale) construit pour sa transformation, articulant devenir personnel et action professionnelle. Nous assistons donc à l’apparition d’une forme inédite d’élaboration de paroles en vue d’actes « potentiels » par la proposition de déplacements et de changements de niveaux relevant d’un processus de « trans-formation ». Il y a construction d’un différé pensée-action dans un espace-temps formation. D’une pratique d’actes qui fondent fonction et identité professionnelle nous passons à une pratique en pensées et d’actes de pensée sur l’origine et le sens de nos actions : nous voici appelés à une méta-pensée de l’action qui nous place de fait en position de « recherche » sur notre pratique. Nous n’avons donc jamais accès au réel d’une pratique mais seulement au discours qui en rend compte à travers une perception et sa construction par le sujet (rejoignant notre proposition théorique initiale sur la construction de la réalité). C’est le discours qui est notre interface avec la pratique réelle. Ce statut de la parole dans les corps professionnels amène à poser la question des « pratiques discursives » en ce qu’elles permettent l’adhésion et l’identification à un groupe professionnel mais aussi l’expression de valeurs implicites fondées sur des conceptions « épurées » dont elles masquent le contenu idéologique (Stengers, 1997). Développer un discours sur sa pratique c’est « extraire de la réalité du réel » et dans un travail de fiction, mettre en ordre, transformer ses actes en mots, leur donner une cohérence « discursive » donnant lieu à un second niveau de réalité après « l’agir »[19]. Dans ce mouvement nous privilégions tous la cohérence du discours sur les errances de la pratique, la logique organisatrice de la pensée et de la parole l’emportant sur l’indéterminé de l’action. La narration (le mythe) l’emporte sur le réel, touffu, multiple et indescriptible dans sa totalité (impossible de tout dire de ce qu’on vit). Construire son discours, c’est donc organiser une « fiction » pour décrire un niveau de la réalité ; en ce sens le réel est construit et c’est par notre action sur le monde qu’il y a connaissance (constructivisme) – dans cet espace, l’essence du travail est d’apprendre à construire une question pour construire « la réalité ». L’objectif de cette narration en formation contribue en quelque sorte à complexifier sa représentation afin de se rapprocher au plus près du « réel » initial. Mais n’ayant pas accès à la pratique réelle, nous n’assistons pas à sa transformation – qui est la finalité psychosociale de ce travail – mais bien à la transformation des discours sur cette pratique.

 

Exigence : quelle éthique du changement ?

Qu’exige de nous ce dispositif au regard de la contrainte présentée (quel véritable accès au changement par les discours) ? Cette exigence comme éthique du changement est interne car l’analyse des pratiques professionnelles s’adresse d’abord à un sujet-acteur et se présente en premier lieu comme centrée sur l’expression et la formalisation d’une éthique des problèmes – d’un sujet en action au cœur d’une praxis à la recherche d’une trans-formation. Dans son contexte professionnel il s’agit pour lui de « répondre à  » pour induire un changement. Mais qu’est ce qui « agit le changement » dans le système – sinon le sujet lui-même par ses actions ? – et qu’est ce qui fonde celui-ci, sinon d’une certaine manière le changement des personnes elles-mêmes ? Pourtant nous déclarons ne pas nous situer dans le registre du changement personnel (le soin, la thérapie) de même que nous ne cherchons pas la « vérité d’un sujet » (son inconscient révélé), comme nous ne travaillons ni avec le transfert, les projections ou les résistances. Or ces dimensions sont forcément bien présentes dans la dynamique formative et opèrent certainement dans la transformation des pratiques (les actions restent bien celles d’un sujet conscient, sensible, « touché-touchant » et agissant ; et ce tout autant que le contre-transfert du formateur, ses projections et représentations). Comment dire alors ce qu’il en est de la place de l’affectivité dans ce processus ? De mon point de vue, il y a bien une exploitation des ressorts inconscients comme ressource et non comme finalité – c’est à dire que nous ne cherchons pas la vérité de l’être mais l’authenticité d’une pratique et d’un engagement toujours orientés vers des finalités de projet d’action. Même si l’un et l’autre sont intimement liés, il n’y a pas d’enjeu de révélation d’une vérité ou d’une souffrance d’un sujet (son authenticité, sa vérité) mais d’une mise au travail d’une certaine idée de la qualité et de la finalité de l’action (valeurs, professionnalité). La transformation ne se situe pas au niveau même de l’être mais de sa capacité à agir. C’est l’identité professionnelle qui est visée dans ce processus de transformation, celle des représentations et des attitudes ; et elle n’est qu’une part de l’être et du sujet. Pour le reste il ne nous appartient pas de conduire ce mouvement. Mais il nous est souvent arrivé de rester à l’orée de cette frontière fragile entre la vérité du sujet et la vérité de son action, et bien que ce ne soit pas la transformation de la personne qui soit visée mais celle de son action au regard des finalités recherchées par le dispositif.

 

Obligations : vers une éthique des situations ?

Sous la pression des contraintes à l’externe (la pratique n’est représentée que par un discours sur elle) et des exigences à l’interne (le changement chez l’acteur renvoie à une éthique des problèmes), nous nous obligeons à un déplacement de cette question (au-delà du lien problème-sujet, des valeurs et de la posture de superviseur) pour chercher du coté d’une éthique des situations ; là où il s’agit de « répondre de  » et non plus seulement « répondre à ». Qu’en est-il alors de la position du formateur dans ce changement de niveau et avec le groupe ?

Le formateur est un « focalisateur » de la dynamique du groupe, son rôle étant de créer les conditions d’une « intelligence collective ». Il s’agit de ne pas s’approprier la définition du problème mais de créer les conditions d’un conflit socio-cognitif et de ne décider de la nature du problème qu’après débat (quel cadre de référence va nous permettre de définir ce problème ?), puis d’accompagner ensemble une co-construction de la situation par la personne elle-même. Dans le processus cela revient à toujours poser la question du « comment formuler le problème ? » ; l’intérêt de la démarche n’est pas celui de son interprétation mais de sa reformulation et de la mise au travail de l’hypothèse. Ainsi, celle qui me conduit arrive très tôt dans le processus et fonctionne intérieurement à la fois comme fil rouge tout au long de la séance et comme cadre d’interprétation au regard du modèle construit. Il ne s’agit pas tant de la livrer au final que de montrer au groupe a posteriori comment celle-ci a orienté mes questions et contribue – ou non – à enrichir et reconstruire le problème. Mon rôle est de penser avec, faire penser, accompagner la pensée en action, ce qui revient toujours à contextualiser la réflexion pour permettre la projection, l’investissement, l’implication. A contrario les supervisions individuelles qui ont été tentées ont très vite démontré que la dimension duelle nous ramenait au conseil et ne permettait pas un changement de niveau dans l’élaboration de la problématique – le face à face épuise le questionnement dans un jeu de miroir, une mise en abyme des questions et des réponses[20]. La relation duelle n’offre pas une surface adaptée au travail d’analyse des pratiques, car c’est le processus de « l’intelligence collective » qui lui confère sa force. Ce type d’activité nous oblige aussi à un travail sur et avec le groupe (repères, processus et interactions entre personnes, mode de travail, résistances, production, évolution et progression, cadre, rapport au cadre et aux règles, au formateur, etc. – y compris le formateur. Ce dernier est convié à une place de « superviseur », inévitablement « sachant » ce qui ne va pas sans poser parfois problème[21]. De fait, ce pouvoir « illusoire » de formateur-modèle est conféré par la dynamique questionnante du dispositif. Dans la pratique, la question du modèle joué par le formateur et du conseil auquel il est invité se pose toujours – lui aussi se doit de « répondre à ». Pour ma part, quand je suis sollicité je ne le refuse pas, mais ce conseil vient toujours en second lieu après la mise au travail collectif comme pour vérifier mon engagement, mes valeurs et ma compréhension – et c’est aussi une question de responsabilité. Comme s’il agissait de témoigner à mon tour de ma capacité à « répondre à » avant de « répondre de ». C’est un moment éthique où prendre mes responsabilités est aussi pouvoir dire « je ne sais pas » – ce qui revient à poser la question de la confiance et de l’humilité. Chercher la maîtrise ou le pouvoir invalide la posture questionnante ; cependant je ne surestime pas cette dimension du conseil, de sa valeur d’orientation, car l’intervention et l’action échappent à son producteur : il n’y a pas de maîtrise du processus. Au final la question de la dimension éthique – comme pensée de l’action juste – ne peut se résoudre que par la construction et l’explicitation du dispositif et du niveau méthodologique qui l’anime. La démarche méthodologique de questionnement se met à fonctionner de façon autonome comme « instance réflexive interne » et se transporte symboliquement sur le lieu de travail. Plus d’une fois, des professionnels en situation difficile au quotidien sur leur structure ont fait fonctionner pour eux-mêmes ce léger décalage dans le contexte et ont cherché à formaliser questions et hypothèses pour tenter une sortie du « problème dans l’action ».

 

Effets, analyses et limites

 

Il est toujours étonnant pour moi de remarquer, au moment de la reprise de la situation le mois suivant, que ce n’est pas forcément ce qui a été pensé collectivement qui a fonctionné. Par contre le professionnel signifie – et montre à l’évidence – avoir retrouvé une marge de manœuvre lui ayant permis d’agir et de répondre autrement que prévu. Que s’est-il passé ? Le travail individuel et de groupe a permis un changement de regard ; il a ouvert « de nouveaux possibles » là où tout semblait condamné à la fixation, à l’enfermement dans le problème initial. La question « posée à la réalité » transforme la représentation du problème et réouvre à un « agir possible ». Ainsi l’analyse des pratiques professionnelles devient-elle le lieu d’une « métis  », d’un passage du « répondre à » au « répondre de ». De ce positionnement « expert » engageant à une prise de risque par rapport à l’enfant (rapport maîtrisé) dans une éthique des problèmes, à l’introduction d’un « jeu » avec le parent réintégrant sa place (tiers inclus) et introduisant incertitude et indécidabilité, nous nous ouvrons à une éthique des situations où il devient possible aux acteurs d’être « auteurs » du projet en co-opération. Ainsi, la façon dont le problème est posé génère-t-il impasse ou « résolution » – d’un problème fermé à un problème ouvert ; dans ce processus en tant que formateur, nous accompagnons le « passage d’une éthique des problèmes à une éthique des situations » (Tricoire, 2002) : l’éthique des problèmes renvoyant au sujet et celle des situations à la construction d’une pensée des contextes.

 

Analyses et limites

Nous comprenons ce dispositif d’accompagnement comme une médiation de deuxième ordre (Tricoire, 2002), agissant comme un « faîtiche » (Latour, 1996) – je lui prête un pouvoir et le pouvoir que je lui concède me dépasse. Le dispositif semble alors fonctionner comme ce que Tobie Nathan appelle « un comptoir d’échange permanent » autour des représentations, des systèmes explicatifs ou compréhensifs, de théories implicites, de valeurs, etc., où chacun peut « prendre » ce qui lui permet de retrouver une « autonomie » dans l’action. Mais j’ai pu remarquer des limites à ce travail. En formation continue, avec plusieurs professionnelles parmi les plus investies et impliquées dans la durée, nous avons rencontré ensemble des « butées » qui posent bien, je crois, des limites où se nouent intimement des enjeux personnels et professionnels repérés mais « inaccessibles ». Ces problématiques à la croisée du personnel, du professionnel et de l’institutionnel, se sont au final formulées ainsi pour deux d’entre elles[22] :

– pour l’une, c’est la question du partage impossible du pouvoir avec un « pair » et qui touche à la position de gratification, à la demande de reconnaissance personnelle et professionnelle dans le travail avec l’enfant et le parent ;

– pour l’autre, c’est la question de son savoir professionnel, de son autorité « d’auteur » et du partage de cette connaissance avec les parents. C’est à la fois la formulation d’une question propre autour du partage du pouvoir et des limites de la confiance en crèche parentale, mais aussi un repérage de l’identité et la spécificité du professionnel par rapport au parent.

Dans d’autres dispositifs, pour les responsables de structures d’accueil associatives ou municipales, la question m’est apparue différente car la fonction de direction dans ces équipements pose problème en ce qu’elle n’est pas définie autrement qu’au regard d’une formation initiale sanitaire et sociale, essentiellement tournée vers l’enfant, le soin ou l’éveil. La question du lieu d’accueil en tant que service n’est pas posée – ni donc celui de la fonction de direction. Entre « management » et fonction éducative, un palier n’est pas élaboré qui permettrait de passer de l’un à l’autre : c’est le niveau institutionnel du service d’accueil, du projet social et institutionnel d’établissement et de la fonction sociale de ce service « au public » ; lui seul conduirait à penser ce rôle, dans un service aux familles visant la conciliation vie familiale vie professionnelle. Penser la situation du service d’accueil dans sa fonction économique sociale et culturelle et dans sa place dans le réseau des solidarités et du tissu local reste difficile pour des professionnels profondément attachés à l’enfant et à sa promotion. Seule la fonction éducative reste vraiment reconnue et légitime. De même fait défaut la pensée qui permettrait de comprendre les liens entre ce service et le travail social (Favre, 2003) et aiderait à penser différences et complémentarités dans le secteur socio-éducatif. La constitution de la fonction de directeur-responsable technique n’est pas assez avancée de même que la constitution du modèle de service dans son environnement ne l’est pas suffisamment pour permettre un travail d’analyse satisfaisant.

Enfin, en formation initiale d’éducatrice de jeunes enfants nous nous trouvons confronté à un autre écueil : l’identité professionnelle est trop peu formée, l’absence d’un contexte professionnel continu et structuré d’activité, de problématique d’institution identifiée, voire un projet professionnel encore trop peu élaboré, déséquilibrent une pensée plus dominée par des principes que des concepts. La méthodologie du questionnement peine à trouver ses marques et reste aléatoire dans son déroulement. Le travail de « repérage » des principes, valeurs, représentations, notions, attitudes et leur « étayage » sur des savoirs est dominant (notamment en ce qui concerne la question des besoins de l’enfant, du rôle professionnel et du travail d’équipe, de la relation aux familles) et reste un enjeu déterminant de la question éducative de la « garde d’enfants ». La transposition de ce mode d’analyse est malaisé, voire insatisfaisant, dans ce contexte.

 

En guise de conclusion

 

Instance réflexive, médiatrice par excellence, l’analyse des pratiques professionnelles est un dispositif, de questionnement plus que de résolution, régulé par du collectif dans une démarche polémique et coopérative. L’analyse des pratiques professionnelles est alors une contribution à la constitution interne d’un certain rapport au savoir et à l’action. Elle contribue à une théorisation de l’action pour le professionnel, en participant à un flux réflexif partagé, collectivement accompagné et élaboré. Elle organise cette seconde dimension de la narration de l’action et contribue au développement des fictions professionnelles qui permettent la compréhension de l’action et de leur pertinence dans un contexte d’intervention sociale. Cependant, c’est une limite de cet espace que de lui conserver sa spécificité d’accompagnement à penser et transformer les pratiques. Il n’est pas un lieu pour la transformation de soi mais pour réinscrire l’institution et ses acteurs dans sa finalité première : une organisation au service d’un projet, au bénéfice de l’enfant et de sa famille, dans une alliance d’adultes autour de lui pour un projet commun et coopératif. L’espace d’analyse des pratiques professionnelles permet de remettre au travail et en mouvement la question du « comment l’institution s’organise pour répondre au mieux à sa finalité ? ».

Mais il me paraît essentiel de ramener encore ce dispositif à sa vraie dimension : en dehors du cadre posé, tout échappe, et peut-être serait-ce là la clé : accepter que cela échappe toujours. Le mystère demeure finalement de ce qui permet juste de remettre en mouvement ce qui s’est arrêté, en laissant aux acteurs la liberté d’adapter « pour soi » et d’ajuster « avec l’autre » ce qui leur permet de remettre en perspective la finalité de leur mission, au nom de quoi ils agissent ici, socialement et professionnellement.

 

 « Je ne crois pas aux livres.

Lorsqu’on veut apprendre quelque chose,

on ne prend pas un livre.

 On parle à quelqu’un. »

E. Emmanuel Schmitt

 

Références bibliographiques

 

Barel Y. (1982), « Les enjeux du travail social », Actions et recherches sociales, Qu’est ce que le social ? n° 3, Eres, nov. 1982, 23-40.

Barbier J.-M. (1996), « L’analyse des pratiques : questions conceptuelles », L’analyse des pratiques professionnelles, in Blanchard-Laville C. et Fablet D. (coord), Paris, L’Harmattan, 27-49.

Chami J. (1998) « L’analyse des pratiques professionnelles et sa dimension formative », in Blanchard-Laville C. et Fablet D. (coord), Analyser les pratiques professionnelles, Paris, L’Harmattan, 57-75.

Favre D. (1998), « Intervention sociale, partenariat parent-professionnel et éducation en crèche parentale », La lettre du GRAPE n° 33, « Autopsy des théories 1 », 111-127.

Favre D. (2001), « Employeurs et usagers en crèche parentale : une place paradoxale ! », La lettre du GRAPE, n° 46 « Les parents usagers », 59-69.

Favre D. (2003), « Compétences des parents, compétences des professionnels : quelles interactions en crèche parentale ? », in Vilbrod A. (dir.), L’identité incertaine des travailleurs sociaux, Paris, L’Harmattan, 179-195.

Latour B. (1996), « Sur la pratique des théoriciens », Savoirs théoriques et savoirs d’action, in Barbier J.-M. (dir.), Paris, PUF, 131-146.

Latour B. (1996), Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond.

Le Moigne J.-L., (1995), Les épistémologies constructivistes, Paris, PUF, 127 p.

Merleau-Ponty M. (1960), L’Œil et l’Esprit, Paris, rééd° 2002 Folio, 93 p.

Schmitt E.E., (2001), M. Ibrahim et les fleurs du Coran, Paris, Albin Michel.

Stengers I., Chertok L (1989), Le cœur et la raison, L’hypnose en question, De Lavoisier à Lacan, Paris, Payot.

Stengers I. (1992), La volonté de faire science. À propos de psychanalyse, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond.

Stengers I., (1997), Sciences et pouvoirs. La démocratie face à la technoscience, Paris, La découverte.

Tricoire B. (2002), La médiation sociale : le génie du « tiers », Paris, L’Harmattan.



[1] Remerciements à Myriam Mony (ESSSE, Lyon) et aux formateurs de l’ACEPP, à Bruno Tricoire (KAIROS, Nantes) ainsi qu’aux professionnelles qui ont participé à ces groupes : crèches parentales, directrices municipales et associatives, responsables petite enfance en formation longue et diplômante ACEPP/Université Paris X Nanterre, professionnels en institution (centre maternel-crèche) et enfin les étudiantes en formation initiale d’éducatrices de jeunes enfants.

[2] Rappelons qu’un système est « un ensemble organisé de processus liés entre eux par un ensemble d’interactions à la fois assez cohérent et assez souple pour le rendre capable d’un certain degré d’autonomie  », in Jean-William Lapierre (1992), L’analyse des systèmes, l’application aux sciences sociales, Paris, Syros, p. 19.

[3] Morin E. (1990), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF.

[4] Tel que le signifie, par exemple, le Dr. Jean Furtos, directeur scientifique de l’Observatoire National des pratiques en santé mentale et précarité dans un encart des ASH n° 2340, 2 janvier 2004, p. 35, « Les “souffre-douleur’’ de la république » : «  si on ne travaille pas sur cette violence …/... en cherchant à savoir pourquoi la violence de l’autre nous fait violence, on ne peut pas l’accompagner… comprendre ce qui, dans la relation de travail, nous rend souffrant, et pouvoir parler de sa vulnérabilité avec ses collègues…  ».

[5] Les actes ici se comprennent toujours référés au contexte, processus et interactions entre acteurs, systèmes, modèles et cadres de référence.

[6] Notamment l’écoute active développée par le Dr. Thomas Gordon (1991 réed° 1970), Parents efficaces, Marabout.

[7] Ce concept de contexte a été développé par Myriam Mony (1991), Compte rendu de formation de formateur  ; photocopie, Paris, Centre de Ressources ACEPP. Ainsi les théories éducatives posent-elles le problème de leur déplacement : quelle pertinence pour une théorie héritée de Loczy (enfants en pouponnières et donc abandonnés) transposée à la crèche collective ou parentale (où les parents sont présents et agissants) ? Le concept même de « contexte » exige un éclaircissement de ces déplacements qui ne vont nullement de soi.

[8] Mony M. (1993), « La responsabilité des parents et des professionnels dans les structures d’accueil de jeunes enfants à gestion parentale et associative : production de savoirs nouveaux par la mobilisation des compétences de tous les acteurs », Colloque ADRETS, “Politiques sociales et qualité des modes d’accueil de la petite enfance”, Lyon, Paris, Centre ressources ACEPP.

[9] Favre D. (2001), opus cité.

[10] Développée par l’AFRESC, cette lecture anthropologique du lien social (don/contre-don, réciprocité selon Marcel Mauss) et d’une approche du développement social enrichies par la santé communautaire (Charte d’Ottawa, OMS, 1986) apporte une compréhension renouvelée des liens santé-social autour des enjeux de prévention primaire et secondaire. Penser les structures d’accueil du côté du lien social (dans un « amont » de la prévention dans le cadre de la Promotion de la Santé) repositionne les questions éducatives et sociales dans une perspective nouvelle fondant les bases théoriques d’une co-éducation parents-professionnels.

[11] Caillé P. (1988), Il était une fois …Du drame familial au conte systémique, ESF, Paris, 24-34.

[12] Mony M. (1987), document du groupe RESO, 1986-1988, « L’organisation comme système, 1987 », sous la direction de Tricoire B., CFCTS, Nantes ; contribution Position et intervention en institution. Cf. aussi Mony M. (1988), Seuls..., ensemble, pour le meilleur et pour le pire de l’enfant ? La crèche parentale : une expérience de déconstruction de l’illusion. Quelles perspectives de formation continue ? Maîtrise de SST et DSTS, dirigée par Tricoire B. et Boutinet J.-P., CFCTS, Nantes. Centre de ressources ACEPP.

[13] Favre D. (2001), « Relations Parents professionnels : crèche parentale, changement de perspective », L’Ecole des Parents, n° 3-4, section IV à VI, Cahier « Parentalité », 46-47.

[14] Boltanski L. (1984), Prime éducation et morale de classe, Cahiers du Centre de Sociologie européenne, Paris, Éditions des Hautes Études en Sciences Sociales ; et Delaisi de Parseval G., Lallemand S. (1980), L’art d’accommoder les bébés. 100 recettes françaises de puériculture, Paris, Le Seuil.

[15] Donzelot J. (1977), La police des familles, Paris, Les éditions de Minuit.

[16] Cailliau I. (2001), Assise entre deux petites chaises. Des représentations sociales des professionnelles petite enfance aux fondement de la légitimité des demandes des parents dans un équipement multi-accueil collectif, mémoire DHEPS, dirigé par Denis Mellier, Lyon, CCRA. Paris, Centre de ressources ACEPP.

[17] Favre D. (2001), « Formation continue en crèche parentale : de l’intérêt des groupes d’analyse des pratiques professionnelles face aux enjeux de la co-éducation », 14ème universités d’automne, Fédération des Educateurs de jeunes enfants, Nantes, FNEJE, 164 -179.

[18] Je me permets d’interpréter librement ici les concepts proposés par Isabelle Stengers et retravaillés par Jonckheere (de) C. (2001), Agir envers autrui. Modèles d’action dans les professions de l’aide psychosociale, Paris, Delachaux et Niestlé, 32-43.

[19] L’écriture représente un troisième niveau de réalité ou d’organisation de cette réalité – ce qui m’a permis de comprendre pourquoi je n’avais jamais pu conduire à l’écriture les professionnels engagés dans ce travail. Il s’agit d’un autre niveau d’organisation de la pensée que de passer à l’écrit. Les concepts proposés au travail ne pouvaient faire l’objet d’une exploration « théorique », n’étant utiles que dans leur capacité à pouvoir produire du sens, éclairer une situation et permettre une mise en mouvement.

[20] Cette différence de posture éclaire bien la distinction entre des dispositifs centrés sur les situations et ceux visant le travail sur soi. Il pourrait sembler a priori que les groupes centrés sur le vécu des sujets et leur parole – avec un outil psychanalytique ou reliés à une analyse centrée sur la personne – soient plus cohérents dans leur adéquation entre moyen et finalité (transformation des sujets pour viser une évolution des pratiques). Mais ne faudrait-il pas questionner ce qu’il en est pour eux-mêmes du déplacement du cadre psychanalytique de la cure au cadre du travail social et de la formation ?

[21] Ayant longtemps occupé des fonctions professionnelles, la tentation du « super-modèle » peut-être attirante… mais peut aussi jouer contre moi – aucune pratique n’est exempte d’erreur.

[22] Qu’en diraient-elles aujourd’hui ? Cf. Gazette de l’ACEPP n° 44, « Et la formation continue… ; la supervision de la pratique professionnelle », 1993, Paris, 4 -9. Centre de ressources ACEPP.

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