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Agir sur la santé : l’action locale prise dans la tendance lourde à la bureaucratisation - 2005
Jusqu’à une période récente, tout le monde clamait la haute valeur de notre système de santé. Encore aujourd’hui, nous nous réjouissons de ce que l’espérance de vie ait dépassé 80 ans.
Qu’est-ce qui, réellement, nous permet d’être en " si bonne santé " ? D’une part un déni des conditions de vie des gens : on vit vieux sans invalidité, mais on ne vit pas bien : souffrance psychique, épuisement au travail (la France est un des pays les plus productifs du monde dans un contexte d’inégalité d’accès à l’emploi - jeunes - femmes - handicapés), relégation dès la cinquantaine, inégalités devant la santé, progression de la mortalité prématurée, conditions de vie précaires pour les personnes âgées et les personnes handicapées, etc. Bien sûr, les soins médicaux techniques sont de bonne qualité technique. Mais les soins aux personnes manquent cruellement de suivi et de relais au niveau local.
Tout cela est connu, de même que les défauts d’un système très hospitalo-centré, très coûteux, axé sur le curatif technique et peu sur le soin et la prévention, et encore moins la promotion d’une vie pour la bonne santé. Les réformes successives du système de santé (Ordonnances de 1996, Loi sur le droit des malades de 2002, loi de santé publique de 2004, loi sur la sécurité sociale de 2004) n’ont pas changé grand-chose au système et les dysfonctionnements continuent de plus belle, entraînant avec eux les finances publiques. Excepté certaines parties des ordonnances dites Juppé qui ont institué les conférences de santé et relancé des dynamiques locales, force est de constater que les acteurs professionnels locaux sont plutôt déprimés, démissionnaires (voir à ce sujet le compte-rendu de notre travail d’accompagnement de l’ASV de Sevran).
Les tendances sont à la rigidification des ressources santé au niveau de l’état, à la recentralisation, tout en laissant " libres " les collectivités locales de développer des politiques de santé.
Contrairement à ce qui est proclamé, la " régionalisation " des politiques de santé contribue à éloigner les décisions et les actions des préoccupations concrètes des gens pour les fixer sur de grands programmes basés sur des indicateurs très généraux. C’est d’ailleurs en vertu de ce caractère très général et donc lissant, que les experts peuvent clamer le " bon état de santé " de la population française. Pour leur part, les gens constatent, dans leur vie quotidienne l’augmentation des difficultés de vie, d’accès aux soins, de conditions de travail. Par exemple, la rationalisation hospitalière oblige des parents dont l’enfant s’est cassé le bras à aller dans un service d’urgence hospitalier de plus en plus éloigné de chez eux, tout en s’entendant dire que les urgences dysfonctionnent car elles reçoivent trop de monde. Que dire aussi, dans nombre de départements, de l’éloignement des services de maternité, rendant périlleux le transport vers la maternité au moment crucial (périlleuse peut-être pas du point de vue de la périnatalité statistique, mais du point de vue de l’humain, de la difficulté et du stress engendrés par la situation dans laquelle se trouve la personne dans sa situation exceptionnelle. La perte progressive des réponses de proximité a pour conséquence une désadaptation des ressources aux habitants et à leurs besoins ; il ne s’agit pas seulement des hôpitaux, mais aussi des services de garde de médecins de ville, etc… Ces raisonnements rendus impersonnels car uniquement basés sur les statistiques sous prétexte de rationalisation budgétaire, amènent à gérer des ressources et non à répondre à des besoins.
Les élus locaux et les services publics de proximité en ont, pour la plupart, bien conscience, dans la mesure où ils sont en prise directe tant avec les gens qu’avec le territoire local. Ils se sentent légitimement obligés d’intervenir, de penser la question de la santé et du cadre de vie des habitants. Et l’on voit bien l’importance d’agir tout en observant le clivage grandissant entre les actions nécessitées par les besoins locaux et la techno-bureaucratie du système de santé.
C’est pourquoi nombre de collectivités se lancent dans des politiques de santé : centres de santé, centres de soins infirmiers, réseau pour personnes âgées, prévention, éducation pour la santé, promotion de la santé, villes en santé, contrats territoriaux de santé, programmes territoriaux de santé, etc. Mais aussi les collectivités ont compris la dimension politique et symbolique de la préoccupation de bien-être des habitants, et se sentent légitimes à intervenir. Elles ont également compris que la réponse n’est pas tant dans l’augmentation des ressources, que dans leur adaptation, dans leur souplesse, dans leur capacité de réagir aux préoccupations des gens … à condition de vouloir les écouter bien sûr, et d’être prêt à en tirer les conséquences. Agir veut dire faire des choix, et ces choix sont forcément générateurs de conflits, par exemple avec les architectes, l’industrie. Ces choix sont aussi générateurs de dilemmes : devant une industrie qui produit de la maladie et de la mort (comme par exemple l’amiante) mais qui produit de la richesse et de l’emploi, quel est le bon choix ? Faut-il sacrifier la qualité de la vie à l’aune de la consommation ?
Contrairement aux tendances perceptibles de recentralisation, de délégation de la santé publique à de grosses institutions (comme le CRIPS en Ile de France), nous sommes persuadés que l’avenir est au local et au proche. Déléguer de gros budgets à des institutions qui grossissent exagérément au niveau régional ne peut produire que de la perte de créativité, de l’inflation bureaucratique, même si cela peu sembler plus facile aux institutions qui financent. Comment, si on n’est pas dans la proximité, si on n’est pas connu des personnes âgées, peut-on imaginer intervenir auprès d’elles ? Ou avec des populations très précarisées ? Ou alors, quel sens aurait que la DRASS ou l’URCAM - pour ne citer qu’elles - délèguent à une autre institution - privée celle-là - le soin de gérer les actions et les financements d’associations ou de projets publics locaux ?
A l’AFRESC, nous pensons que c’est aux acteurs locaux de construire leurs projets, adaptés aux enjeux, aux réalités locales, et surtout adaptés aux gens avec qui on travaille de manière coopérative pour imaginer les réponses. C’est pourquoi nous proposons, entre autres aux agents des collectivités locales via le CNFPT, une formation longue afin de bien comprendre les enjeux, les méthodes, les difficultés, les démarches pratiques de l’action de santé au niveau local.
C’est pourquoi nous nous sommes associés au collège coopératif de Paris pour proposer un DHEPS option santé (Diplôme des Hautes Etudes en Pratiques Sociales). Cette formation conduit, en 1 à 2 ans selon les formations initiales des étudiants, à un diplôme de niveau maîtrise validé par les universités Paris 3 et Paris 8.
Vous pouvez consulter sur le site les pages consacrées à ces deux formations.
Michel BASS
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