De la participation à la démocratie locale. Dr. Michel BASS. Avril 2009.
De l’action participative à la démocratie sanitaire
Dr. Michel BASS, LILLE,
Intervention à la journée Santé et Développement Durable,
autour des actions de santé de l’agenda 21 de la ville de Lille 7 avril 2009
A l’AFRESC on est pris, on nous demande, et nous nous vendons sur la question, la dimension de la participation (traduit dans le titre de mon intervention par « comment entendre la parole des gens »). Comme si des consultants spécialisés pouvaient créer dans des projets courts (quelques mois) les conditions et la réalisation d’une participation effective des gens dans les projets institutionnels. La question n’est bien évidemment pas du « savoir faire » mais bien plutôt de la volonté institutionnelle et politique de le faire. Cette volonté absente, la mobilisation des gens est sinon impossible, grandement dangereuse pour les gens qui s’y prêtent, l’une des situations exposées plus loin le montre. Mais pourquoi ces discours sur la participation ? Car agir en santé et en développement durable consiste à agir sur la santé, et donc avec les gens, premiers concernés et premiers acteurs de leur santé – même si cette notion d’être « acteur de sa santé » contient une dimension culpabilisante (victim blaming) non négligeable.
Mon intervention va éclairer l’un des aspects de la question de la participation : ce que cela implique dans le pouvoir politique, administratif et bureaucratique de demander vraiment d’aller vers une participation effective. En précisant que cette demande d’écoute et de participation tend à se généraliser dans le domaine de la santé (à la différence notable du social, et à l’interface duquel le médico-social se trouve pris dans de vives tensions).
La participation est donc une idée qui a fait son chemin dans les pratiques de santé. La loi de mars 2002 sur le droit des malades le prouve, allant à mon avis beaucoup plus loin dans le respect des « usagers » que la loi de janvier 2002 qui se contente de créer des instances de concertation et d’évaluation. Cela n’a pas été tout seul et est largement du à la militance de malades de maladies spécifiques (sclérose en plaque, SIDA, cancer). Avant ces lois, fleurissaient des formules trop répétitives pour ne pas dire incantatoires : favoriser l’implication des gens, évaluer avec les gens, et bien sûr « dans le respect des différences ». Ces incantations ont fini par perfuser les discours, et partiellement les pratiques et la loi.
En voici quelques exemples, pris de manière critique.
En remarque préliminaire, je dois préciser que les exemples pris (contrat local de santé, Atelier santé ville) sont pris à partir de notre expérience AFRESC, et dans une perspective de critique constructive : les procédures de contrat local de santé et d’ASV ont permis le développement de pratiques intéressantes. Mais leur analyse révèle des difficultés en particulier en ce qui concerne la question de la participation et de la démocratie sanitaire. Ces failles sont du même ordre que les « oublis » de la question de la gouvernance présidant aux actions de développement durable initiées par les collectivités publiques et l’état. Voir et analyser des limites de dispositifs ne revient pas à en dénoncer l’existence. Bien plutôt s’agit-il de pouvoir proposer des méthodes de travail en diagnostic et en projets prenant vraiment au sérieux ce 4e pilier du développement durable qu’est la gouvernance et la démocratie participative.
1er exemple : mise en place d’une démarche « participative » d’élaboration d’un projet local de santé dans la Drôme, en territoire rural montagnard.
L’enjeu tourne évidemment autour de la survie, et sous quelle forme, de l’hôpital local. La démarche conduite par la DDASS, l’ARH et la sous préfecture, est conforme aux canons de la « démarche projet » et aux attendus de la participation : un comité de pilotage et des groupes de travail sont mis en place par la sous préfecture et la DDASS, sous l’égide de l’ARH (qui préfigure que la santé du territoire va lui revenir en entier), avec un accompagnement d’experts en contrat local de santé (un ancien directeur d’ARH et un ancien enseignant ENSP, qui connaissent bien ce que la démarche participative signifie en vérité). Le comité de pilotage réunit des acteurs locaux (du CH, des élus – le Dr BASS étant leur conseil – du CLIC, du Conseil local de développement) et… des représentants des libéraux et des usagers, distingués soigneusement des représentants des associations ou des syndicats – c’est dans le « guide méthodo ». Ce guide précise cependant : l’association d’usagers doit être agréée, de même que les médecins libéraux doivent être représentés par les instances ad’ hoc (représentant de l’URML). Résultat : le représentant des usagers (de l’association agréée) n’a jamais mis les pieds dans ce territoire (il vient d’Ardèche), mais que voulez-vous, aucun habitant local n’appartient à une association agréée. Le médecin libéral vient, lui de 40 km. Il n’y a pas de représentant de l’URML localement. Les élus locaux sont présents massivement et demandent des comptes pour l’hôpital. Ils sont superbement méprisés par les consultants, appuyés par les représentants locaux de l’état. De toutes façons ces élus n’ont aucun pouvoir : soit parce que ce sont des élus municipaux sans mission de santé (excepté de présider le CA du CH), soit parce que, élus du Conseil Général, ils n’ont aucun pouvoir dans leur institution, les décisions étant en fait prises dans un petit comité composé du PCG, du directeur de cabinet, du DGS et de quelques DGA. Pendant les 2 premières réunions du Comité de Pilotage, la place de la sous préfecture est occupée par une manifestation d’habitants venus défendre l’hôpital (l’une des manifestations a réuni 2000 personnes, soit 40% de la population !). La presse est là. Ils ne sont ni reçus ni écoutés : qu’auraient-ils à dire ? Et surtout, la participation suppose de maîtriser le processus d’expression des gens. Qu’ils s’expriment, mais par les canaux que la bureaucratie et le pouvoir contrôlent. Conclusion : ce n’est pas qu’ils ne savent pas faire participer les gens, ou que les gens ne se déplacent jamais, ce n’est pas qu’ils ne comprennent pas la question de la participation, c’est bien plutôt qu’ils ont parfaitement compris les enjeux, et qu’ils ont reconstruit, via des règles et des procédures, des instances qui neutralisent dans les faits la participation.
2e exemple : l’élaboration du diagnostic santé de l’ASV d’Orly.
Là, le cas de figure est très différent. Les « experts » sont des consultants de l’AFRESC, la demande du médecin de la ville est nettement du côté d’une participation réelle, et la ville semble y croire. L’AFRESC constitue donc un comité de pilotage et un groupe de suivi, dans lesquels, au fur et à mesure des travaux d’approche (essentiellement du « terrain », des rencontres individuelles et collectives), sont conviés professionnels et habitants. Petit à petit, ces groupes commencent à élaborer réellement, c’est-à-dire que les problématiques, les perceptions et représentations des gens viennent se confronter à celles des professionnels. Un discours ouvert et critique se construit autour de questions difficiles du point de vue de la santé : les conditions de la rénovation urbaine (et en particulier les effets sur les réseaux sociaux) et les conditions de vie des malades et des handicapés dans la ville. Questions difficiles du point de vue de la santé car non solubles par des « actions de santé » traditionnelles (des groupes sur l’obésité, ou une information sur les dangers du tabac). On est clairement dans la santé publique et ses facteurs déterminants, et ces facteurs, vigilance AFRESC oblige, permettent de décentrer de la responsabilité individuelle des gens la cause des problèmes de santé (responsabilité individuelle constamment invoquée et convoquée tant pour traiter les problèmes – on traite les maladies qui se repèrent dans le corps ou le comportement – ou pour les prévenir – l’éducation pour la santé et les messages de santé sont massivement orientés vers le comportementalisme). Bien évidemment, les élus locaux se sentent pris au piège : les actions de santé qu’il conviendrait de mener écornent leur politique sociale, leur politique de rénovation urbaine, considérées comme des modèles. La confrontation n’aura pas lieu : les élus ont réussi à bloquer le processus avant que les meneurs (on les connaît, c’est toujours les mêmes qui investissent les instances de concertation, juste pour démolir) ne prennent le pouvoir et renversent la république. La méthode du diagnostic – voulue participative au sens AFRESC du terme, c’est-à-dire permettant la confrontation entre politiques, professionnels, administratifs, population est remise en cause, dans un tribunal assez typique des pratiques totalitaires où les élus demandent à l’AFRESC de faire leur auto critique. On veut bien laisser continuer l’AFRESC, mais comme expert en diagnostic, et en excluant les habitants du comité de pilotage. Les experts et les institutions de la Drôme ont été plus malins : ils ont fait de la prévention des risques.
3e exemple : l’élaboration du diagnostic santé pour l’ASV de l’agglomération de Dunkerque, là encore par l’AFRESC.
Cas de figure beaucoup plus favorable : plusieurs des élus acceptent de se former à la démarche, l’un des maires est aussi vice-président du Conseil Général, la ville de Grande Synthe a une longue et riche histoire de santé publique (centre de santé, polyclinique), et la ville de Dunkerque a mis en place une maison de promotion de la santé. La démarche participative est admise, voire favorisée, toutefois avec quelques craintes (que fait-on si les groupes sont investis par les militants du FN, nombreux dans ces territoires ouvriers ?). Les débats tournent rapidement autour de questions importantes pour les habitants : la pollution industrielle (site avec de nombreuses usines classées « Seveso », problème massif de mésothéliome lié à l’amiante) et des plaintes précises et graves concernant l’hôpital.
En ce qui concerne l’amiante, les pouvoirs publics ont mis en place une instance de concertation entre habitants, industriels, associations et élus. Son but est l’information, la prévention. Cette instance est toutefois critiquée par les habitants participant aux groupes : ils n’y font pas confiance, sauf si un ancien ouvrier peut les représenter, car lui, il saurait, il ne raconterait pas d’histoires. Etonnement des élus, des professionnels : ils ne comprennent pas que les victimes actuelles ou potentielles puissent douter de la parole des experts, des élus, des industriels. Que faire pour rétablir la confiance ? Ce fut pour nous l’un des enjeux de l’avenir de l’ASV : créer des instances dans lesquelles la contradiction, la confrontation sont réelles, dans lesquelles l’information puisse être analysée et contrôlée réellement. Autrement dit, c’est une paraphrase de la charte d’Ottawa de la promotion de la santé qui stipule que l’accès à l’information pour les populations doit être illimité. Cela se traduit actuellement par la vogue de l’éducation thérapeutique du patient (dont nous ne nions pas l’intérêt par ailleurs).
En ce qui concerne les pratiques de l’hôpital et plus généralement des professionnels de santé, la question a été évoquée et plus ou moins débattue. Des personnes (dont certaines en grande difficulté sociale dans le quartier sud de Dunkerque) ont témoigné. Nous avions préconisé un accompagnement des gens pour pouvoir interroger et débattre avec les professionnels et les institutions de santé, une sorte de recherche-action. La maison de promotion de la santé a refusé absolument, prétextant que ce n’était pas son travail, et que l’on ne pouvait pas bâtir une action sur des témoignages. Ce qui est vrai, sauf que des évènements singuliers qui se répètent deviennent des problèmes réels (Cf. J.DONZELOT).
Cet exemple montre une étape supplémentaire : l’acceptation du débat et d’une « vraie » participation était réelle, soutenue, entretenue. Les résultats de la méthode ont posé de vrais soucis aux partenaires. La prise en compte des problèmes repérés n’a pas été suivie des effets à attendre. La raison est liée aux effets de la méthode participative : elle met en question la structure de la démocratie représentative.
Je pourrais multiplier les exemples : ASV d’Angers ou d’Achères tout juste terminés. A Angers, le personnel politique et les coordinateurs de santé publique de la ville ont changé en cours de route. Mais il est manifeste qu’il est difficile pour les élus d’accepter l’idée même de la participation, et surtout des effets que cela risque de produire si on prend la participation vraiment au sérieux.
Conclusion :
Comme disait Socrate (peut-être), « tout le monde est obligé de participer à la vertu et à la sagesse, autrement il n’y a pas de cité ». Voilà un principe de base de la démocratie. Mais qu’est-ce qu’une démocratie qui se résumerait à « autoriser la population à changer de tyran de temps en temps » (Montaigne) ? Que serait une démocratie dans laquelle les élus décident de tout une fois élus, sans plus d’interrogation sur le réel de la société ? Que serait une démocratie où ce réel serait filtré en permanence par des administratifs ou des professionnels, voire des experts, et où les « décideurs », devenus des professionnels de la décision, ne seraient plus en lien véritable avec la société, les gens ? Rappelons ce qu’en a dit Simone WEIL : « l’usage même des mots de démocratie et de république oblige à examiner avec une attention extrême [les deux problèmes que voici] [le fait suivant] : comment donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la possibilité d’exprimer parfois un jugement sur les grands problèmes de la vie publique ? » (in Note sur la suppression générale des partis politiques, édition climat, p.36.)
Les demandes, les protocoles imposant aux collectivités, aux professionnels, de « faire du diagnostic », s’ils ne rajoutent qu’une expertise de plus ne contribuent pas à rétablir de la réalité dans le monde politique. On en voit les conséquences : la crise est globale, profonde, … durable ! (économique, morale, sociale, politique, écologique). On aura au moins réussi à faire du développement durable.
Pour le développement durable, comme pour la démocratie sanitaire, prendre au sérieux la participation, c’est prendre au sérieux la démocratie. C’est prendre au sérieux les méthodes qui permettent la confrontation politique / population / experts sans verser dans la démagogie ou le partisanisme.
Mais c’est aussi accepter de transformer durablement et en profondeur les méthodes en vogue dans les champs politiques, institutionnels et organisationnels, actuellement centrés sur la gestion managériale, la confiscation du pouvoir de décider par peu de monde (ce qui est une autre manière de définir le mot management en tant que méthode moderne de la confiscation). Autrement dit, une transformation des méthodes de travail dans les institutions publiques est nécessaire, conduisant à des processus de « décision collégiale » à l’image de ce qui est développé en éthique médicale. Comprenons bien, c’est le processus de décision qui est nécessairement collégial. La décision elle-même est prise par celui qui est mandaté pour, et qui en porte la responsabilité. Cela suppose une évolution vers d’autres modes de relation entre élus, administrations, professionnels, experts et population (schémas). Ce sont ces méthodes que l’AFRESC tente de mettre en place, souvent à contre-courant, en tentant de mettre en place les processus permettant écoute, débat, confrontation, et changement des modalités de la décision.
Qui pourrait dire que les cours d’assise avec jury populaire, ou les conférences de citoyens, conduisent à de mauvaises décisions et seraient de nature démagogique ?
Je me permets aussi de renvoyer à une analyse pertinente des conditions de la participation dans les politiques de développement urbain : Jacques DONZELOT et Renaud EPSTEIN, dans un article de la Revue Esprit N°326 (2006) pp.5-34 « démocratie et participation, l’exemple de la rénovation urbaine » où les auteurs ont utilisé une échelle particulièrement intéressante pour situer le niveau réel de participation élaborée en 1969 aux USA par Sherry ARNSTEIN.
GRIPPE A... Dr Michel BASS. 11 novembre 2009